Octave Mirbeau et Camille Pissarro
La passion que Mirbeau éprouve pour Pissarro est protéiforme : il admire le peintre sans réserve, et il aime l’homme comme un fils. Le critique voit dans cet artiste un guide spirituel, un modèle d’harmonie morale, dont il partage les idées anarchistes, le mépris des honneurs et des décorations, et aussi l’idolâtrie du culte de la nature. Plus qu’une simple estime, c’est une véritable et profonde amitié qui lie ces deux hommes.
Mieux que quiconque, Mirbeau comprend pleinement les recherches de cet artiste, mais comment détailler, disséquer, l’art synthétique de cet « esprit fraternel » ? À l’opposé des littérateurs qui, froidement, analysent les œuvres suivant une grille et les commentent en fonction de l’effet à produire, Mirbeau se contente d’épancher, à peine interprétés, ses propres états d’âme et ses émotions devant ses toiles. Il ne réduit pas ses impressions à de sèches réflexions, mais réalise au contraire de véritables transpositions littéraires. Superbe hommage où il exprime la symbiose et de leur art et de leur âme.
«Dans ses toiles, nous avons l’idée réelle de cette immensité ou l’homme n’est plus qu’une tache à peine perceptible. »
Octave Mirbeau, « Camille Pissarro », 10 janvier 1891
Une édition de la correspondance de Mirbeau avec Camille Pissarro a paru à Tusson, aux Éditions du Lérot, en 1990. Outre ses 88 lettres (dont certaines sont adressées à la femme et aux fils de Camille), elle comporte une préface, un cahier iconographique, un index et le texte des cinq articles que le critique a consacrés au patriarche d’Éragny-sur-Epte. À la différence de la Correspondance avec Rodin et de la Correspondance avec Monet, nous connaissons les réponses du peintre, qui ont été conservées et qui, pour la plupart, ont été publiées, par Janine Bailly-Herzberg, dans sa propre Correspondance. Elles sont largement citées dans les notes, ce qui permet de suivre au plus près les échanges entre les deux amis, dont l’admiration est réciproque et qu’unit un même engagement libertaire. On peut donc quasiment parler de correspondance croisée. À la différence de l’édition des lettres à Monet, elle est, de surcroît, presque complète. Autre différence avec les lettres à Monet et à Rodin : les lettres à Pissarro sont extrêmement concentrées dans le temps : même pas deux ans et demi ! L’explication tient à la rupture advenue en juin 1893, à la suite d’une visite inopinée de Pissarro à Carrières, en l’absence de Mirbeau : la neurasthénique Alice ayant refusé de le recevoir, le peintre en a été extrêmement mortifié et, dans son orgueil de prolétaire, n’a pas pardonné à l’écrivain, malgré tous ses efforts pour rentrer en grâce, de ne s’être pas assez dissocié de sa femme. C’est seulement en 1903, peu de temps avant la mort du peintre, que les deux amis se retrouveront enfin.
Malgré cette douloureuse séparation, conséquence d’un déplorable malentendu, les convergences éthiques, esthétiques et politiques n’en étaient pas moins très nombreuses et ont créé des liens qui semblaient extrêmement solides et dont témoigne abondamment les lettres échangées. Le critique éprouvait une véritable passion pour le peintre de l’harmonie, son affection et son admiration pour l’homme et pour le citoyen étaient toutes filiales, car il voyait en lui une manière de père idéal, qui avait su transmettre à ses enfants son amour de l’art et ses exigences éthiques, tout en les laissant totalement libres de suivre chacun sa voie (voir son article de 1897, « Famille d’artistes »).
Mirbeau se sentait tellement en confiance qu’il pouvait parler à cœur ouvert et tout dire à son ami, ses doutes lancinants, ses tâtonnements, ses dégoûts, ses envies de voir sauter cette société immonde. Bien sûr, il est avant tout question de peinture et, en particulier, des tentatives de Mirbeau pour aider son aîné à vendre ses toiles, mais la littérature n’est jamais oubliée pour autant et la situation politique est toujours présente à l’arrière-plan, au moment où va s’ouvrir l’ère des attentats et où l’on commence à rêver de transformations radicales de la société.
Source : Dictionnaire Octave Mirbeau
Bibliographie : Lola Bermúdez : « Mirbeau-Pissarro : “le beau fruit de la lumière” », Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 91–99 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, préface de la Correspondance avec Camille Pissarro, Le Lérot, 1990, pp. 7–24.
LIBRAIRIE
Dans le ciel
James Tissot, l’oublié de Nantes
Dans Ouest-France de lundi 6 juillet, page Cultures, on lit sur trois colonnes un article sur le peintre James Tissot (1836 – 1902), né à Nantes, titré “L’oublié de Nantes, star à Paris”, qui fait…
Octave Mirbeau et Claude Monet
Pour Mirbeau, Monet est le premier à avoir su peindre la lumière, fixer l’instantanéité et donner la vie à la peinture.
Séjour à Kérisper entre la rivière d’Auray et la rivière du Bono
Octave Mirbeau et Alice Regnault, qui viennent de se marier en catimini à Westminster le 25 mai 1887, après avoir vainement cherché une maison à Belle-Île, s’installent en location, à Kérisper près…
Dans le ciel (1892)
Dans le ciel est un roman paru en feuilleton dans les colonnes de L’Écho de Paris du 20 septembre 1892 au 2 mai 1893 et qui n’a été publié en volume qu’en 1989, aux Éditions de l’Échoppe, Caen,…