La 628-E8 (1907)
Dédiée à Fernand Charron, le constructeur de l’automobile « Charron 628-E8 », cette œuvre inclassable n’est ni un véritable roman, ni un reportage, ni même un récit de voyage digne de ce nom, dans la mesure où le romancier-narrateur n’a aucune prétention à la vérité documentaire, ne se soucie aucunement de vraisemblance, et mélange allègrement les registres du vécu, du rêve et de la fantaisie.
« À qui dédier le récit de ce voyage, sinon à vous, cher Monsieur Charron, qui avez combiné, construit, animé, d’une vie merveilleuse, la merveilleuse automobile où je l’accomplis, sans fatigue et sans accrocs ? Cet hommage, je vous le dois, car je vous dois des joies multiples, des impressions neuves, tout un ordre de connaissances précieuses que les livres ne donnent pas, et des mois, des mois entiers de liberté totale, loin de mes petites affaires, de mes gros soucis, et loin de moi-même, au milieu de pays nouveaux ou mal connus, parmi des êtres si divers dont j’ai mieux compris, pour les avoir approchés de plus près, la force énorme et lente qui, malgré les discordes locales, malgré la résistance des intérêts, des appétits et des privilèges, et malgré eux-mêmes, les pousse invinciblement vers la grande unité humaine.
Oui, ce qui est nouveau, ce qui est captivant, c’est ceci. Non seulement l’automobile nous emporte, de la plaine à la montagne, de la montagne à la mer, à travers des formes infinies, des paysages contrastés, du pittoresque qui se renouvelle sans cesse ; elle nous mène aussi à travers des mœurs cachées, des idées en travail, à travers de l’histoire, notre histoire vivante d’aujourd’hui… Du moins, on est si content qu’on croit vraiment que tout cela est arrivé. Et puis, pour nous les rendre supportables et sans remords, ne faut-il pas anoblir un peu toutes nos distractions ? »
Objet littéraire non identifié, La 628-E8 est tout à la fois un récit de voyage en automobile (à travers le nord de la France, la Belgique, la Hollande et l’Allemagne wilhelminienne), un exercice d’autofiction (le narrateur n’est autre que le romancier lui-même, devenu personnage de fiction), une fantaisie qui contribue à mettre à mort le roman prétendument réaliste du XIXe siècle en faisant d’une machine la véritable héroïne du récit et en renonçant à toute composition et à toute vraisemblance, et une réflexion sur le patrimoine culturel européen et sur les perspectives – prémonitoires – d’une Europe pacifiée et prospère, où l’automobile rapprocherait les peuples.
L’originalité de cette œuvre sans précédent, où l’impressionnisme en mouvement confine à l’expressionnisme et au futurisme, n’a pas été perçue d’emblée par la majorité des critiques, trop déconcertés, qui ont eu tendance à n’y voir qu’une succession d’anecdotes.
Elle a de surcroît été occultée par un triple scandale :
- scandale des Belges, choqués par des pages, certes injustes, mais jouissivement caricaturales ;
- scandale des pseudo-« patriotes » et revanchards, qui s’indignent de l’idéalisation de l’Allemagne, présentée sur bien des plans comme un modèle et dont la prospère économie est présentée comme complémentaire de celle de la France ;
- scandale de La Mort de Balzac, trois chapitres hors‑d’œuvre que Mirbeau s’est résigné à supprimer au dernier moment, sur les instances de la fille de Mme Hanska, alors que le volume était dejà imprimé.
Écrit par Pierre Michel pour le compte de la S.O.M.
Lire à ce sujet la préface des Éditions du boucher : PM-preface 628-E8
Également : La première édition sur le site de la Bibliothèque Nationale
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La 628-E8
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