Octave Mirbeau
Dramaturge, écrivain, journaliste
OOctave Mirbeau (1848–1917) a obtenu au théâtre d’étonnants succès, que de multiples reprises n’ont fait que confirmer : Les Affaires sont les affaires est passé plusieurs fois à la télévision et a connu un triomphe dans la mise en scène de Pierre Dux en 1983 et, plus encore, dans celle de Régis Santon, en 1994 (400 représentations devant des salles combles) ;
Le Foyer a été la révélation de l’année 1989 et — tout comme Les Affaires, d’ailleurs, cinq ans plus tard — a obtenu le Molière de la meilleure pièce de l’année, quatre-vingts ans après sa création ; L’Épidémie, Vieux ménages et Le Portefeuille font de temps à autre les beaux jours de petits théâtres et de troupes d’amateurs ; il n’est pas jusqu’aux Mauvais bergers qui n’ait connu, en 1975, une reprise en forme de redécouverte, au théâtre des Athevains.
Une vocation tardive
En dépit de son génie du dialogue et de son sens de l’effet scénique, Mirbeau n’est venu que tardivement au théâtre. Il était en effet convaincu que le vieux théâtre avait fait son temps et qu’il était condamné à mort : victime du mercantilisme des directeurs de théâtre ; du misonéisme d’un public abêti, qui ne cherche au théâtre qu’un vulgaire divertissement, de la cabotinocratie et du star system ; de l’incompétence d’une critique tardigrade, qui se soumet aux exigences du public au lieu de le guider ; et de l’industrialisme des auteurs dramatiques qui, pour plaire aux directeurs, aux critiques, aux comédiens et au grand public, fabriquent en série des pièces conçues sur le même modèle, qui commence à s’effilocher.
Pour que le théâtre renaisse, il faudrait donc, selon lui, une véritable révolution culturelle, à laquelle Mirbeau ne croit pas. Pourtant il a fini par se décider à se servir de cette forme moribonde — comme il s’est servi du journalisme et du roman — pour travailler à éveiller les consciences.
Dans son dispositif de combat, Mirbeau a conçu trois types de pièces :
1. Une tragédie prolétarienne : Les Mauvais bergers (1897)
Le sujet est proche de celui de Germinal : c’est l’histoire d’une longue grève ouvrière et de son écrasement par la troupe, appelée au secours d’un patronat de droit divin. Mirbeau y proclame le droit des ouvriers, non seulement au pain et au travail, mais aussi à la santé, à l’éducation et à la beauté. Et il y fustige tous les meneurs d’hommes, tous les « mauvais bergers », qui manipulent les masses, y compris les députés socialistes et les leaders anarchistes.
Mais il n’était pas satisfait de sa pièce : il y renoue avec le finalisme inhérent à la tragédie, comme dans ses romans « nègres »; on y trouve trop de tirades et de grandiloquence ; le dénouement, sanglant à souhait, touche la sensibilité su perficielle des spectateurs, sans pour autant les éduquer. C’est pourquoi Mirbeau se cantonnera désormais dans la comédie et la farce, qui permettent de distancier le spectateur, et, par conséquent, d’éveiller sa conscience critique.
2. Deux comédies de caractères et de mœurs :
• Les Affaires sont les affaires (1903), qui a triomphé sur toutes les scènes d’Europe. Portrait extrêmement vivant — et actuel – d’un parvenu, brasseur d’affaires sans scrupules, Isidore Lechat.
• Le Foyer (1908), dénonciation de la charité-business, de l’exploitation des enfants et de la collusion entre politiciens et affairistes. La pièce a suscité un énorme scandale et n’a été représentée à la Comédie-Française qu’après un procès qui a divisé la France en deux.
Pour traiter des sujets à implications sociales immédiates, Mirbeau renoue avec la tradition moliéresque des comédies de caractères. Il place au centre de ses pièces des caractères complexes et vivants, des types fortement individualisés, à la fois humains et théâtraux, que l’on peut détester en tant qu’incarnations des pourritures sociales, mais que l’on peut également plaindre en tant qu’individus accessibles à la souffrance.
Mirbeau y respecte un certain nombre de conventions théâtrales considérées alors comme incontournables : concentration dramatique, conflits humains, primauté du dialogue, répliques à effet, souci de la crédibilité… Mais, dans un cadre classique, il n’en introduit pas moins des audaces qui ont choqué :
— Il bafoue les hypocrites « bienséances » : il évoque sans fard l’exploitation sexuelle des enfants et l’étouffement des « affaires » par des gouvernements peu soucieux d’éthique (dans Le Foyer) ; et il choisit pour personnage positif des Affaires une femme intellectuellement et sexuellement émancipée, Germaine Lechat, qui ose juger son père, qui refuse un « beau mariage », et qui proclame fièrement qu’elle a un amant.
— Il tend à juxtaposer des scènes qui éclairent ses personnages, ou qui mettent en lumière des abus sociaux, sans toujours les rattacher à l’action. Il manifeste ainsi son mépris pour la « pièce bien faite ».
— Il choque la « vraisemblance » dans le dénouement « shakespearien », et pro fondément humain, des Affaires, où l’on voit Isidore Lechat, abattu par la mort de son fils, se ressaisir pour écraser deux lascars qui escomptaient profiter de sa faiblesse pour le gruger.
Mirbeau est parvenu à un équilibre rare entre la distanciation et l’émotion, la caricature et la vérité humaine, la critique sociale et le refus du manichéisme, le classicisme et la modernité.
3. Les Farces et moralités :
• Vieux ménages (1894), évocation de l’enfer conjugal.
• L’Épidémie (1898), caricature féroce de l’égoïsme homicide des possédants.
• Amants (1901), parodie des grotesques conventions du langage amoureux.
• Le Portefeuille (1902), démonstration du caractère intrinséquement pervers de la loi, faite par et pour les riches pour mieux écraser les pauvres.
• Scrupules (1902), qui démontre que le vol est le ressort de toutes les activités les plus honorées : la politique et le commerce, le journalisme et les affaires…
• Interview (1904), caricature de la presse pourrie, vénale et anesthésiante.
Ces pièces en un acte sont des moralités – terme désignant des oeuvres édifiantes du quinzième siècle. C’est-à-dire qu’elles ont un objectif didactique avoué, et qu’elles invitent les spectateurs à tirer une leçon morale ou sociale. Mais, en même temps, ce sont des farces, qui visent à distancier le spectateur, pour lui permettre d’exercer son jugement critique : parodie, emballement et crescendo, renversements brutaux, symétrie voulue, cocasseries verbales, gros sissement, inversion des normes sociales et des valeurs morales (en particulier au moyen de l’éloge paradoxal : éloge du vol ou du petit bourgeois stupide, de l’adultère ou de la presse de désinformation).
Mirbeau y tourne en dérision tout ce qu’un vain peuple craint et révère (la loi, la propriété, la police, le pouvoir politique, la presse). Et il se livre à une démystification en règle des mythes de l’amour (Amants), de la morale des Tartuffes et du mariage monogamique (Vieux ménages).
Il remet également en cause le langage :
— Il met à nu sa fonction mystificatrice et ses « grimaces », portant ainsi la contestation au cour même du système de domination de la bourgeoisie : car c’est par le langage qu’elle s’assure la soumission des classes dominées. — Il révèle son impuissance à rapprocher les sexes, les classes et les cultures : les hommes sont condamnés à l’incommunicabilité.
Par ses Farces et moralités, Mirbeau se situe dans la continuité des farces de Molière et anticipe tout à la fois le théâtre didactique de Brecht, le théâtre rosse d’Anouilh et de Marcel Aymé, et le théâtre de l’absurde d’Ionesco.
Les affaires sont les affaires (1903)
Chef‑d’oeuvre théâtral de Mirbeau, Les Affaires sont les affaires a été créée le 20 avril 1903 à la Comédie-Française, au terme d’une longue bataille, avec un succès qui né s’est jamais démenti lors des très nombreuses reprises de la pièce. En Allemagne et en Russie, elle a connu également un triomphe
Les mauvais bergers (1897)
Les Mauvais bergers est un drame en cinq actes et en prose, créé le 14 décembre 1897 au théâtre de la Renaissance, par Sarah Bernhardt et Lucien Guitry, les deux plus grandes stars du théâtre de l’époque. Elle a paru en volume chez Fasquelle en mars 1898
Le Foyer (1908), sur la tartufferie des organisations de charité
Avec sa troisième grande pièce, Le Foyer, Octave Mirbeau a dû mener une bataille épique pour la faire accepter par la Maison de Molière : elle a tenu en haleine l’opinion…
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